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Aurélie CORBINEAU
Urbaniste, agence Aurélie Corbineau
Promouvoir les activités sportives et physiques au sein des territoires périurbains et ruraux n’est pas chose aisée. Entre développer les pratiques associatives par des logiques d’équipements et repenser l’aménagement des espaces publics pour favoriser des activités physiques libres, le choix apparaît encore binaire. Confrontée à cette difficulté dans une vie précédente d’élue municipale, Aurélie Corbineau partage ses expériences en faveur de politiques sportives et physiques locales à l’écoute des habitants.
Activités sportives versus activités physiques : comment répondre aux attentes et aux pratiques des habitants ?
34 millions de Français pratiquent une activité physique et sportive, mais seulement 16 millions sont licenciés [1]. Donc une grande majorité des Français pratiquent une activité physique hors des clubs sportifs. Ces chiffres, que j’ai découverts pendant mon mandat de maire (2014-2020) d’une commune de 5 000 habitants, m’ont fortement questionnée. En tant qu’élue, on pense en général au développement des activités physiques et sportives à travers les infrastructures de type gymnase, terrains sportifs (foot, rugby) ou avec la mise en place de pass’ sportifs pour adhérer à une association. Mais, d’après ces chiffres, cela ne répond pas à la moitié des pratiques physiques de nos concitoyens.
L’un des projets de notre mandat a été, comme beaucoup de communes, la mise en place d’un city stade. Chaque commune depuis une dizaine d’années se « doit » d’avoir un city stade pour ses jeunes. La demande, notamment des garçons, est très forte. Il semble cependant primordial de réfléchir à son emplacement en termes d’usages, d’attractivité, d’intégration avec d’autres activités, de publics, mais aussi d’intégration paysagère. Trop d’équipements de ce type sont aujourd’hui posés sur l’espace public sans cette réflexion globale. Dans notre cas, au-delà de ce city stade, nous avions pour projet de créer la première aire de jeux de la commune, mais aussi de recréer du lien avec la Garonne. Après plusieurs mois de réflexion sur l’emplacement, nous avons choisi d’investir l’ancien terrain de camping désaffecté en bord de Garonne. Celui-ci était également bordé par le terrain de rugby. De nombreux arbres de haute tige étaient déjà présents mais le traitement paysager était très routier. Nous avons fait appel au paysagiste Guillaume Laizé qui a créé un parc avec une très forte intégration paysagère du city stade. La terre qui a été décaissée pour implanter le city stade et créer des noues a aussi servi à créer un petit circuit de bosses pour les vélos en entrée de parc. Les fossés ont eux été conservés. Ceux-ci, avec les noues, entourent le parc de jeux et créent une limite physique ne nécessitant pas l’implantation de barrières et laissant le paysage ouvert. Ce parc court jusqu’à la Garonne et à une plaine libre pour les pique-niques et barbecues avec un filet de volley et une table de ping-pong.
Les habitants se sont-ils approprié les lieux comme vous l’imaginiez, pour quels usages sportifs et physiques ?
Les aménagements ont été très rapidement fortement plébiscités par les habitants. Quotidiennement une centaine de personnes utilisent le parc, et jusqu’à 500 personnes certains weekends. La dynamique créée autour de ce parc a donné l’idée à des associations de la commune de transformer les anciens sanitaires du camping en guinguette associative, la Garonnette. Au-delà d’un city stade et d’une aire de jeux, c’est aujourd’hui un lieu de vie intergénérationnel et très populaire. Les parents y fêtent les anniversaires des enfants, les assistantes maternelles s’y retrouvent en groupe régulièrement, les petits apprennent à grimper aux arbres, les jeunes et les familles fréquentent tour à tour l’aire de jeux et le city stade ou vont faire des ricochets sur la Garonne, les personnes âgées viennent s’y promener, emmènent le chien, accompagnent leurs petits-enfants, les actifs s’y retrouvent le weekend entre amis autour d’immenses tables de pique-nique. Beaucoup de personnes y pratiquent une activité physique, soit en club (danse, boxe, yoga, etc.), soit hors club (footing, marche, volley-ball, ping-pong, basket-ball, football, etc.). L’intégration de cet équipement sportif au cœur de ce parc génère une occupation des espaces sportifs très importante car les interactions entre ceux-ci et les autres aménagements sont permanents.
Cette pratique libre d’activités physiques, souvent liée à des pratiques individuelles, n’est peut-être pas facile à saisir pour l’action publique. Comment inciter les habitants à pratiquer des activités physiques ? Avez-vous pu mener des expérimentations en ce sens ?
Au-delà d’équipements sportifs tels que city stade, parcours d’agrès ou parcours sportifs, les aménagements de rue peuvent permettre de développer l’activité physique. Dans notre cas, nous avions de gros problèmes d’accès aux deux écoles du centre-ville, n’incitant pas à venir à pied alors que l’activité physique des enfants est importante au quotidien. La marche peut donc y répondre. Par ailleurs, les rues devant les écoles étaient saturées de voitures et cela posait de gros problèmes aux riverains, certains ne pouvant pas sortir de chez eux ou se retrouvant avec les volets bloqués et ne supportant plus les gaz d’échappement aux heures d’entrée et de sortie d’école. Nous avons tout d’abord réfléchi globalement à la question des différents accès aux écoles, sur une distance de 800 mètres (10 à 15 minutes à pied) et avons ainsi identifié des points noirs pour la traversée. Avec des aménagements légers dans un premier temps, nous avons passé des rues en sens unique, réalisé des marquages au sol pour délimiter les cheminements piétons, mis en place des plots en bois au sol pour limiter l’espace des voitures, agrandi le parvis devant l’école maternelle qui était très réduit. Nous avons aussi fait le choix de fermer, avec des plots rétractables aux horaires d’entrée et de sortie d’école, la rue d’accès à l’école élémentaire sur une distance de 250 m. Un parking de 80 places se trouvait près de cet accès. Comme il y avait une forte résistance de certains parents à accepter de se garer « aussi loin » de l’école, nous avons fait le choix d’utiliser le design actif pour rendre cet accès à l’école ludique. Nous avons utilisé quelques pots de peinture acrylique basique et nous avons passé deux journées avec quelques adultes et des enfants à peindre la rue, en créant des parcours avec des figures graphiques, en peignant quelques animaux rigolos, en colorant la rue. Et après l’installation de la borne d’accès, nous avons réalisé une petite fête où nous avons invité les enfants à venir avec leurs vélos et trottinettes autour d’un goûter musical et de quelques activités ludiques. La rue des Écoles devenait ainsi la rue des Enfants. La démarche a été accueillie très positivement par les enfants et les parents. Les bambins étaient ravis de pouvoir sauter entre les points de couleur, courir avec les copains pour rejoindre leur école. Et pour beaucoup d’entre eux, les parents ont arrêté de prendre la voiture qui devenait plus contraignante sur une petite distance pour se rendre à l’école et la marche à pied s’est développée ! L’autonomisation des enfants par la sécurisation des accès a aussi été rendue possible.
De façon plus générale, quelles contraintes pèsent sur les équipes municipales en matière d’organisation des activités physiques et sportives ?
L’une des contraintes pourrait être d’identifier les besoins. Quand il s’agit d’associations, il est simple de les mobiliser pour connaître leurs besoins. Pour la pratique libre, elle n’est, la plupart du temps, pas organisée sous forme de collectifs. Il y a donc un important travail « d’aller vers » les habitants à réaliser pour connaître leurs besoins et identifier les différentes formes d’activités physiques déjà pratiquées et celles qui pourraient se développer. La simple diffusion d’un questionnaire n’est pas suffisante car elle mobilise trop peu d’habitants. Un important travail d’enquête et de participation citoyenne me semble nécessaire. Et dans ce cadre, la première étape sera de définir ce qu’est une activité physique au sens large : jardinage, marche, course à pied, etc.
Peut-on agir sur l’ensemble des pratiques avec les finances d’une commune ?
Comme pour tous les besoins, il faudra faire des choix. Mais certaines réponses seront plus légères que d’autres au niveau financier. Certaines relèvent de la sensibilisation, quand d’autres relèvent d’équipements légers ou plus importants. Il est par exemple possible de communiquer sur les bienfaits du jardinage, d’implanter une signalétique des parcours de course à pied avec différentes distances, de développer à différents endroits de la commune des casiers connectés avec du matériel de sport mis à disposition gratuitement (raquettes de ping-pong, boules de pétanque, ballon de basket) ou de décorer certaines rues avec des peintures au sol pour rendre la marche plus attractive.
Aurélie Corbineau est urbaniste, spécialisée dans l’accompagnement des processus participatifs et le dialogue territorial.
Propos recueillis par Geneviève Bretagne, responsable du pôle Transition écologique à l’AUAT et Morgane Perset, rédactrice en Cheffe de BelvedeR, chargée de mission Dialogues urbains à l’AUAT.
[1]Selon le rapport France Stratégie du 22 novembre 2018 : « Activité physique et pratique sportive pour toutes et tous. Comment mieux intégrer ces pratiques à nos modes de vie ? »
© Philippe Lejeaille, mairie de Verdun-sur-Garonne